Le 15 août, les derniers soldats français ont quitté le territoire malien, 9 années après le début de l’intervention Serval (devenue ensuite Barkhane) lancée par François Hollande. Ce 15 août était aussi le triste premier anniversaire de la prise de Kaboul par les talibans afghans, concomitante au départ des derniers soldats américains en août 2021. Dans un cas comme dans l’autre, c’est un bilan désastreux pour ces interventions militaires, qui jette la lumière sur leur inefficacité.

Au Mali, les djihadistes contrôlent toujours une large partie du territoire et débordent aujourd’hui sur les pays côtiers, jusque-là relativement épargnés. L’un des objectifs de l’opération Barkhane de favoriser la montée en puissance de l’armée malienne a échoué, cette dernière étant minée par la corruption et les logiques clientélistes. En outre, l’accession au pouvoir d’une junte militaire lors d’un double coup d’Etat en août 2020 et en mai 2021 est allée de pair avec une dégradation continue des relations diplomatiques entre le Mali et la France, jusqu’à leur rupture début 2021 et le renvoi de l’Ambassadeur de France. Malgré des succès tactiques et l’élimination de chefs djihadistes, la menace terroriste est loin d’être éliminée, le pays n’est pas stabilisé et la France a perdu 53 hommes et dépensé entre 800 millions et 1 milliard d’euros par an. Un bilan peu glorieux.

En Afghanistan, deux décennies d’intervention militaire américaine (entre 2001 et 2021) n’auront pas suffi pour empêcher le retour des talibans du pouvoir. En 20 ans, les Etats-Unis y ont envoyé 775 000 soldats, perdu près de 2500 hommes et dépensé 900 milliards de dollars. La France a quant à elle compté jusqu’à 4000 militaires dans le pays (en 2010) et déploré la perte de 89 soldats. Pourtant, le 15 août 2021, les talibans entraient victorieux dans Kaboul, profitant du retrait des troupes américaines. On se souvient des scènes de chaos et des images terribles d’Afghans entassés dans des avions pour fuir la ville assiégée.

Soldats français quittant la base de Gao au Mali (juin 2022)

On peut citer d’autres exemples : en Libye, où la France a mené une intervention éclair en 2011 ayant conduit à la chute de Kadhafi, le pays est dans une impasse politique qui s’éternise. En Irak, l’absurdité de l’action militaire de Georges W. Bush à partir de 2003 n’est plus à démontrer. En éliminant le régime de Saddam Hussein et en poussant les chiites au pouvoir, l’intervention américaine a favorisé la radicalisation des sunnites et a largement contribué à l’émergence de l’Etat islamique (Daesh).

Alors pourquoi les pays occidentaux mènent-ils (encore) des opérations militaires extérieures ?

La situation est bien sûr différente suivant les pays et contextes d’intervention. Mais on retrouve des dénominateurs communs, que l’on peut résumer ainsi : la raison « officielle » souvent invoquée est la « lutte contre le terrorisme » ou « l’établissement de la démocratie » (comme si on imposait une démocratie par les armes). Une autre motivation est la crainte des flux migratoires ou des répercussions sur nos territoires par le biais d’attentats terroristes.

Les raisons moins formelles [des interventions militaires] sont d’ordre économique ou géopolitique, avec des intérêts à défendre (pétrole au Moyen-Orient, uranium au Sahel) ou plus largement pour maintenir une zone d’influence.

Les raisons moins formelles sont d’ordre économique ou géopolitique, avec des intérêts à défendre (pétrole au Moyen-Orient, uranium au Sahel) ou plus largement pour maintenir une zone d’influence. La question des débouchés offerts à nos industries de l’armement mérite d’être évoquée, quand on sait que les Etats-Unis ou la France figurent parmi les premiers pays producteurs d’armes au monde.

Pourtant, face à ces constats d’échecs, on ne peut que s’interroger sur le bien-fondé et la pertinence de ces interventions militaires. Les sommes engagées, colossales, seraient mieux utilisées ailleurs. Sans parler des pertes humaines, qui peu à peu rendent l’opinion publique défavorable. D’ailleurs, c’est souvent cette raison (l’opinion publique) qui in fine motive la décision du retrait des troupes. C’était le cas de l’Afghanistan par exemple, comme le décrit justement Bernard Bajolet, ancien Ambassadeur de France dans le pays, dans ses mémoires :

« L’opinion américaine ne soutenait plus la présence des GI’s en Irak et en Afghanistan, et l’administration ne pouvait que suivre. La logique du plan américain aurait voulu que le retrait des troupes étrangères suivît la réduction des incidents de sécurité. Or il n’en fut rien : la situation sécuritaire, mesurée par le nombre de victimes civiles, resterait stable de 2011 à 2014. » (Bernard Bajolet, Le soleil ne se lève plus à l’est. Mémoires d’Orient d’un ambassadeur peu diplomate. Plon)

Lucas Giboin

A lire aussi sur mon blog : Pourquoi l’armée française combat-elle au Sahel ?

Source image : https://www.lemonde.fr/afrique/article/2022/08/21/mali-barkhane-vient-clore-un-cycle-de-trente-annees-d-operations-exterieures-de-la-france-en-afrique_6138595_3212.html