En Iran, le mouvement contestataire ne faiblit pas. Né du soulèvement des femmes suite à la mort de Mahsa Amini le 16 septembre dernier, arrêtée par la police des mœurs, il s’est depuis transformé en une insoumission généralisée et en des manifestations quotidiennes contre le régime théocratique.

Ce n’est pas la première révolte de grande envergure que connaît l’Iran depuis la Révolution de 1979. L’histoire de la République islamique est en réalité émaillée d’épisodes contestataires. En 2009, le Mouvement Vert, né de l’élection contestée de Mahmoud Ahmadinejad, constitue alors la manifestation la plus massive depuis 1980. En 2019, des manifestations essaiment dans l’ensemble du pays pour dénoncer les prix trop élevés des carburants.

A chaque fois, le régime iranien s’est illustré par sa résilience, c’est-à-dire sa capacité à surmonter les épisodes de crise contestataire. Ce en s’appuyant systématiquement sur la violence et la force armée pour museler les manifestants. A un point tel que Farhad Khosrokhavar, sociologue spécialiste de l’Iran, parle aujourd’hui de « thanatocratie », soit d’un régime qui « entend régner par la mort et par la peur des mises à mort ». A ce jour, le bilan s’élève à près de 300 morts.

S’agit-il d’une révolte de plus, à l’issue de laquelle le régime sortira renforcé ? Qu’est-ce qui fait la singularité du mouvement en cours ?

L’une des particularités de cette révolte est le fait qu’elle est née au départ de la voix des femmes. En réaction à la mort de Mahsa Amini, elles sont descendues dans la rue, ont retiré ou brûlé leur voile sur la place publique en signe de provocation vis-à-vis des théocrates au pouvoir. Leur slogan « Femmes. Vie. Liberté » a été largement repris dans le reste du monde, en un vaste élan de solidarité. Cela ne signifie pas que les Iraniennes étaient absentes des révoltes passées : elles ont au contraire souvent joué un rôle moteur dans la mobilisation populaire.

En cet automne 2022, la rupture vient surtout du fait que c’est aujourd’hui une nouvelle génération qui manifeste, les « petits-enfants » de Khomeiny. Là où leurs parents ou grands-parents éprouvent lassitude et résignation face à la puissance répressive du régime, les nouvelles générations revendiquent de pouvoir parler, s’aimer à ciel ouvert, s’habiller sans contrainte quand on est une femme. Des désirs de liberté alimentés par l’usage des réseaux sociaux. La jeunesse iranienne – les 16-30 ans représentent entre 20 et 35 % de la population selon les estimations – éduquée, aspire de pouvoir jouir, elle aussi, des richesses produites par le pays.

Cette jeune génération est détachée du « consensus révolutionnaire et nationaliste scellé par les mythes fondateurs que sont le renversement de la monarchie, la personnalité de Rouhollah Khomeiniy, et surtout la guerre Irak-Iran ». Elle ne se reconnait pas dans les préceptes d’une révolution vieille de plus de 40 ans, et rêve de refermer la parenthèse obscurantiste qui frappe le pays depuis quatre décennies.

Lucas Giboin

Image : Yasin AKGUL / AFP