La mort annoncée d’Evgueni Prigojine, patron de la société Wagner, interroge sur ce qui va advenir des activités du groupe en Afrique, où l’oligarque russe avait réussi à nouer d’étroites relations personnelles avec certains responsables.

Le groupe Wagner est surtout connu pour être une milice paramilitaire russe qui envoie ses mercenaires dans les zones de conflit (Ukraine, Libye, Syrie…) et s’est tristement illustrée par ses exactions contre les civils. Mais l’empire Wagner ne se limite pas au secteur militaire. En Afrique, il exploite les réserves minières – parfois en échange de ses services de sécurité au profit des dirigeants -, les bois précieux, et s’est même lancé dans la production de boissons alcoolisées. Le groupe possède également une “usine à trolls” de 400 personnes, basée à St-Pétersbourg, dont certains employés sont exclusivement dédiés à alimenter les campagnes de désinformation.

Quels sont les effectifs de Wagner en Afrique ?

En Centrafrique

L’influence de Wagner est particulièrement forte en Centrafrique où 1400 mercenaires sont déployés (en mai 2023). En 2020, ils ont repoussé l’offensive de groupes armés rebelles à l’encontre du Président Touadéra et lui assurent la protection personnelle. La Centrafrique est probablement le pays où le taux de pénétration et de captation de l’Etat par le groupe est le plus avancé.

En début d’année, les “Wagnerleaks, fuite massive de documents internes à l’organisation, ont mis en lumière les pratiques employées par les mercenaires : pillages, tortures de la population locale, prédation sur les ressources – diamants, or, bois.

Au Mali

Au Mali, les troupes de Wagner ont purement et simplement pris la place des militaires français, progressivement évincés par la junte au pouvoir à partir du putsch en 2020. Les effectifs de la milice russe seraient d’un peu plus de 1000 hommes (en 2022). Le Mali verserait à Wagner environ 10 millions de dollars par mois, pour des résultats pourtant peu probants sur le plan sécuritaire. Là aussi, la présence de Wagner s’agrémente de l’exploitation des ressources aurifères : 2 sociétés minières auraient été montées par les mercenaires russes à cet effet.

Au Soudan

Au Soudan, où elle est implantée depuis des années, Wagner dispose d’un accès privilégié aux mines d’or du pays. Le groupe apporte son soutien aux Forces de soutien rapide (FSR) en échange de l’exploitation des mines, dans le conflit qui les oppose aux forces gouvernementales depuis avril.

En Libye

En 2019, Wagner soutient les troupes du Général Haftar en Libye au sein d’une alliance avec les Emirats Arabes Unis, l’Egypte et l’Arabie saoudite, contre le gouvernement de Tripoli soutenu par les Etats-Unis (sur la Libye, voir également l’article “aux origines du chaos libyen). Les mercenaires sont environ 2000 dans le pays (en 2022). La Libye est devenue pour le groupe une plateforme logistique pour appuyer son déploiement au Soudan et le développement de ses activités aurifères.

Des combattants de Wagner se trouveraient aussi dans d’autres pays africains : Mozambique, Madagascar, mais aussi Botswana, Burundi, Tchad, Comores, République démocratique du Congo, Congo, Guinée, Guinée Bissau, Nigeria, Zimbabwe. L’influence du groupe y est toutefois plus économique que sécuritaire. Wagner possède un bureau économique basé au Cameroun, chargé de traiter ses activités commerciales sur le continent.

Au-delà des déploiements militaires, la force de Wagner en Afrique “repose avant tout sur ses activités de propagande, qui démultiplient son impact sans que [le groupe] ait besoin de déployer ses troupes sur le terrain”. C’est le cas par exemple du Burkina et du Niger, où les coups d’Etat récents ont été presque spontanément accompagnés de messages de soutien à la Russie, et à l’inverse de propos haineux envers la France. En Afrique francophone, le Groupe “a su capitaliser sur les erreurs diplomatiques de la France, le rejet de la politique étrangère et des opérations militaires françaises, et, plus largement, sur la frustration sociale accumulée, pour offrir au Kremlin des victoires géopolitiques à moindre coût.

Un déclin de Wagner en Afrique après la mort de Prigojine ?

La mort de Prigojine, qui était parvenu à tisser un important réseau clientéliste et avait l’oreille de nombreux dirigeants africains, annonce-t-elle la fin de l’influence de Wagner en Afrique ?

En réalité, le pouvoir russe reprend progressivement la main sur les activités du groupe sur le continent. La milice paramilitaire “a su se rendre indispensable tant auprès des gouvernements autoritaires dont il représente “l’assurance-vie”, qu’au Kremlin dont il assure le rayonnement sur le continent, à moindre frais”. Dès le 26 juin, soit quelques jours seulement après la mutinerie lancée par Evgueni Prigojine contre Poutine, le chef de la diplomatie russe Sergueï Lavrov précisait que le groupe poursuivrait ses activités au Mali et en Centrafrique. Plus récemment, le 22 août, le vice-ministre de la défense russe a rendu visite au maréchal Haftar pour discuter du sort des mercenaires présents dans le pays. En Afrique, la Russie étend son influence, et compte bien y rester.

Lucas Giboin