La mort du président tchadien Idriss Déby, tué sur le front rebelle le 20 avril dernier, a ouvert une phase d’incertitudes dans le pays. Son fils, Mahamat Idriss Déby, a pris la tête du « Conseil militaire de transition » pour préparer la succession. Un événement vécu par l’opposition comme un « coup d’Etat institutionnel » pour garantir le maintien de la junte militaire au pouvoir, après 30 ans de règne d’Idriss Déby.

La dictature tchadienne bénéficie du soutien inconditionnel de la France. L’Hexagone a discrètement appuyé Déby lors de son coup d’Etat en 1990 pour renverser Hissène Habré et prendre le pouvoir. En 2019, la France a même fait décoller des avions de chasse pour bombarder une colonne de rebelles qui descendait sur N’Djamena. La présence de Macron aux obsèques du président tchadien est un marqueur fort de la caution que Paris accorde au clan Déby et aux militaires. Une sorte d’assentiment tacite au hold-up présidentiel orchestré par Mahamat Idriss Déby.

« Rempart contre le djihadisme »

En fait, le Tchad est vu comme le verrou à maintenir dans une région chaotique : un Sahel gangréné par les groupes terroristes à l’ouest, une Libye en guerre civile au Nord, une Centrafrique en ruines au sud, Boko Haram au nord du Nigéria et autour du Lac Tchad. Le Tchad est perçu et décrit comme le pays dont la stabilité doit être maintenue à n’importe quel prix.

Et puis le Tchad s’est rendu indispensable dans la lutte contre les groupements terroristes au Sahel, où depuis 8 ans la France est embourbée dans une guerre qui n’en finit pas. Sur ce terrain, feu Idriss Déby a joué un coup de maître en engageant dès 2013 ses troupes au Mali. Il s’est imposé comme un allié incontournable des Occidentaux pour combattre les terroristes, d’autant plus que l’armée tchadienne est considérée comme la mieux entraînée parmi les pays du Sahel. En février dernier, Déby a confirmé cette tactique géopolitique en annonçant l’envoi de 1200 soldats supplémentaires aux côtés des forces militaires en présence.

E. Macron à N’Djamena pour les obsèques d’Idriss Déby.
CHRISTOPHE PETIT TESSON / AFP

La stabilité ou le chaos

La stabilité ou le chaos, donc. Un avis partagé au plus haut niveau européen. Dans une interview récente au Monde, le Haut représentant de l’Union européenne Josep Borrell est d’un cynisme amer : « L’intégrité territoriale et la stabilité du Tchad sont les prémices de toute transformation politique. Ce n’est pas une démocratie à l’européenne. Mais nous ne vivons pas dans un monde idéal. Parfois, la vie, ce n’est pas choisir entre les bons et les mauvais, mais entre les mauvais et les pires. Il faut tenir le Tchad. S’il tombait en morceaux, c’est tout le Sahel qui volerait en éclats. »

Réaliste pour les uns, révoltant pour les autres. En affichant ainsi leur soutien au régime militaire, la France et l’Europe récusent ouvertement le processus constitutionnel selon lequel c’est au président de l’Assemblée nationale d’assurer l’intérim. A croire que le Tchad serait l’un de ces pays imperméables à toute ouverture démocratique, comme c’était perçu des pays arabes avant le Printemps 2011.

Lucas Giboin